Chapitre 16
Les gens se trouvent toujours des justifications. Des lois rigides et immuables ne fournissent guère qu’une base commode aux justifications de chacun, et aux préjugés qui les supportent. La seule loi universellement acceptable par les mortels serait celle qui permettrait n’importe quelle justification. Quel non-sens évident ! La loi a pour rôle au contraire de dénoncer les préjugés et de mettre en doute les justifications. La loi doit être souple et variable afin de s’adapter aux exigences nouvelles à mesure qu’elles apparaissent. Autrement, elle n’est là que pour servir de justification aux puissants.
Le Code gowachin (Traduction du BuSab).
Après le départ de Bahrank, il fallut quelques instants à McKie pour recouvrer la notion de sa propre finalité. Les immeubles se dressaient hauts et massifs au-dessus de lui, mais un hasard dans la disposition de cette garenne faisait qu’une trouée donnant à l’ouest laissait pénétrer jusqu’au fond de la rue étroite un rayon de soleil oblique. Cette lumière à demi argentée faisait ressortir les ombres, accentuant les mouvements des Humains. McKie détestait la manière dont tous ces gens le dévisageaient, comme s’ils étaient en train de supputer déjà les avantages personnels qu’ils allaient pouvoir tirer de lui.
Lentement, il se fraya un chemin, à travers la foule des passants, jusqu’à l’arcade qui marquait l’entrée de l’immeuble. Il s’efforçait d’enregistrer sans en avoir l’air le plus de détails possible. Ses années d’expérience au BuSab et les innombrables missions délicates accomplies au service de la puissante organisation lui avaient donné une connaissance remarquable des espèces co-sentientes, et c’était cette connaissance qu’il s’efforçait d’exploiter pour percer les puissantes motivations secrètes qu’il devinait derrière chaque individu qu’il croisait. Malheureusement, son expérience lui avait aussi appris le mal qu’une espèce peut causer à une autre espèce, sans compter celui qu’elle peut se faire à elle-même. Et les Humains qui l’entouraient ne lui rappelaient rien d’autre qu’une foule en colère prête à exploser.
Sans relâcher son attention un seul instant, prêt à se défendre contre toute attaque imprévue, il descendit un petit escalier qui menait dans une pénombre fraîche où il y avait beaucoup moins de monde mais où la puanteur et l’odeur de renfermé étaient insupportables.
Deuxième porte à gauche.
Il s’arrêta devant le seuil indiqué par Bahrank et risqua un coup d’œil avant de continuer. De nouvelles marches d’escalier descendaient dans l’obscurité. Sans savoir exactement pourquoi, il se sentait oppressé. L’image de Chu qui se constituait peu à peu dans son esprit ne correspondait nullement à celle que lui avaient donnée les conseillers d’Aritch. L’avaient-ils délibérément induit en erreur ? Et dans l’affirmative, pourquoi ? Se pouvait-il qu’ils ignorent vraiment la nature du monstre qu’ils avaient créé ? Le nombre et la portée des réponses possibles à toutes ses questions lui donnaient des sueurs froides. Et si quelques-uns des observateurs envoyés ici par Aritch avaient choisi, pour une raison quelconque, de passer de l’autre côté de la barrière ?
De toute sa carrière, McKie n’avait jamais rencontré de planète aussi complètement coupée du reste de l’univers. Elle était isolée, privée de toutes les commodités dont jouissaient les autres mondes co-sentients. Pas d’accès aux couloirs calibans, pas d’échanges avec les autres civilisations. Les plaisirs raffinés et les pièges élaborés qui occupaient les habitants des autres mondes leur étaient totalement inconnus. Sur Dosadi, d’autres distractions avaient cours. Et les instructeurs de Tandaloor avaient maintes fois répété leur avertissement : ces « primitifs » isolés, s’ils étaient lâchés sans précautions dans l’univers civilisé, étaient capables de se rendre maîtres de la Co-sentience.
« Rien ne peut les contenir. Absolument rien. »
C’était peut-être un peu exagéré. Il y avait bien des choses qui les contraignaient, physiquement. Mais ils n’étaient pas inhibés par les conventions ni les mœurs en vigueur dans le reste de la Co-sentience. Sur Dosadi, tout pouvait être monnayé. Les vices les plus horribles, les dépravations les plus folles que l’imagination pût concevoir pouvaient se donner libre cours. C’était une idée qui hantait McKie. En outre, il y avait les innombrables substances qui servaient de drogue à presque tous les Dosadis. Les moyens de pression qu’un tel état de choses pouvait donner à un petit nombre d’individus sans scrupules avaient de quoi faire frémir.
En butte à ses indécisions, il n’osait tout de même pas trop s’attarder en ces lieux et descendit les marches avec une assurance qu’il était loin d’éprouver réellement. N’ayant pas le choix, il préférait suivre à la lettre les recommandations de Bahrank.
L’étage inférieur était plongé dans l’obscurité, à l’exception d’une ampoule très faible au-dessus d’une porte noire. Deux Humains somnolaient, assis sur une chaise de chaque côté de la porte tandis qu’un troisième, dans l’ombre du palier, tenait dans ses mains une arme à feu d’apparence massive et désuète.
« Jedrik veut me voir », fit McKie.
Le garde qui était armé lui fit signe d’entrer.
McKie profita de ce qu’il passait devant eux pour jeter de plus près un coup d’œil à l’arme archaïque. Elle consistait en un canon court rattaché à un boîtier métallique au sommet duquel était un bouton tenu enfoncé par le pouce du garde. McKie faillit en perdre l’équilibre. L’arme était une bombe de l’homme-mort ! Ce ne pouvait être que ça. Si, pour une raison quelconque, le garde relâchait son pouce, une explosion tuerait tout le monde dans l’escalier. Et les deux autres qui dormaient ! Comment faisaient-ils, avec cette menace suspendue sur leur tête ?
La porte noire surmontée d’une lumière était maintenant l’objet de toute son attention. En bois massif, elle était percée d’un judas à hauteur de visage. Elle s’ouvrit à son approche. Une forte odeur de cuisine, très relevée, assaillit ses narines, surmontant toutes les autres puanteurs. McKie s’avança dans une vaste salle au plafond bas remplie ou plutôt bondée – d’Humains assis sur des bancs devant de grandes tables à tréteaux. Il y avait tout juste assez de place pour passer entre deux bancs. Partout où le regard de McKie se posait, il y avait des gens attablés devant de petits bols de nourriture qu’ils portaient à leur bouche à l’aide d’une cuiller. Des serveurs et des serveuses circulaient d’une table à l’autre, posant bruyamment leurs bols pleins, remportant prestement les vides.
À gauche de l’entrée présidait une énorme femme assise devant un comptoir sur une petite estrade. Elle était placée de manière à commander du regard à la fois la porte d’entrée, la salle et les doubles battants qui livraient continuellement passage au personnel venant des cuisines ou y retournant. Cette femme monstrueuse était perchée là comme si elle n’avait jamais de sa vie bougé de derrière son comptoir. De fait, il était difficile de l’imaginer en train de se déplacer. Son bras n’était qu’une bouffissure de chairs flasques débordant des manches de sa salopette verte et ses chevilles étaient noyées dans un fuseau adipeux qui laissait à peine entrevoir ses chaussures.
Asseyez-vous à une table et attendez.
Bahrank avait été clair et son avertissement parfaitement explicite. McKie chercha du regard une place libre sur un des bancs. Avant qu’il ait pu en trouver, la femme énorme s’adressa à lui d’une voix perçante :
« Votre nom ? »
Le regard de McKie se darda aussitôt sur ses yeux minuscules perdus dans les replis de chair.
« McKie. »
« Je m’en doutais. »
Elle leva un doigt boudiné. Surgissant de la masse confuse, un jeune garçon accourut. Il ne pouvait avoir plus de huit ou neuf ans, mais son regard froid était déjà empreint d’une sagesse adulte. Il regarda la femme obèse, attendant ses instructions.
« C’est celui-là. Conduis-le. »
Le jeune garçon fit volte-face et, sans même regarder si McKie suivait, fonça en direction du passage étroit où une succession de portes à double battant livraient passage à la cohorte de serveurs affairés. À deux reprises, McKie faillit se faire renverser par l’un deux. Celui qui le guidait semblait capable de prévoir l’ouverture des battants, car il s’écartait chaque fois juste à temps.
Au bout du passage se trouvait une autre porte noire munie d’un judas. Elle donnait sur un petit couloir comportant deux portes closes, une de chaque côté. Le mur qui leur faisait face coulissa lentement, révélant une rampe étroite qui descendait entre deux parois de roche lisse. De temps à autre, une ampoule nue suspendue à la voûte éclairait le passage. La roche était humide et dégageait une odeur malsaine. Ils traversaient parfois des endroits plus larges où des sentinelles étaient postées ou bien passaient devant des portes closes, gardées elles aussi par des hommes armés. Au bout d’un moment, McKie renonça à tenir le compte des bifurcations, des portes et des postes de garde qu’il avait aperçus. Ils finirent par arriver, après avoir recommencé à grimper durant quelques minutes, dans un nouveau couloir bordé de portes des deux côtés. Le garçon ouvrit la deuxième porte à droite, attendit que McKie fût entré et referma la porte. Il n’avait pas prononcé un seul mot. Ses pas s’éloignèrent dans le couloir.
La pièce où se trouvait McKie était petite et très mal éclairée par des lucarnes qui étaient tout en haut du mur opposé à la porte. Une table à tréteaux de deux mètres de long avec deux bancs sur les côtés et une chaise à chaque extrémité remplissait à peu près tout l’espace utilisable. Les murs étaient de pierre grise, sans aucun ornement. McKie alla s’asseoir sur l’une des chaises et attendit patiemment tout en s’imprégnant de l’atmosphère des lieux. Il faisait froid : à peu près la température qui convenait aux Gowachins. Une des lucarnes hautes était entrebâillée et laissait filtrer les bruits de la rue : un véhicule qui passait, des voix en train de discuter, de nombreux bruits de pas. La garenne n’était pas loin. Plus près de lui, de l’autre côté de la porte, il entendit des bruits de vaisselle entrechoquée et de temps à autre un sifflement de vapeur.
Au bout d’un moment, la porte s’entrouvrit et une femme grande et mince se glissa par l’ouverture qui demeura juste assez large pour la laisser passer mais pas plus. L’espace d’un instant, pendant qu’elle se tournait, la lumière de la lucarne éclaira son visage, puis elle s’assit à l’extrémité d’un banc et ses traits se fondirent dans l’ombre.
McKie n’avait jamais vu de traits semblables dans un visage féminin. Elle possédait l’éclat du roc acéré et ses yeux froids et purs étaient d’un bleu cristallin. Ses cheveux noirs coupés très court formaient une brosse drue. Il réprima un frisson. La rigidité de cette femme amplifiait la dureté de son expression. Ce n’était pas l’endurcissement que donne la souffrance. Pas seulement cela, du moins. C’était quelque chose de résolu, de profondément ancré dans une douleur prête à exploser au moindre contact.
Dans un monde co-sentient où les techniques gériatriques pouvaient être mises à profit, on aurait pu lui donner n’importe quel âge entre trente-cinq et cent trente-cinq ans. La pénombre où elle se trouvait rendait difficile un examen détaillé, mais il aurait parié qu’elle avait moins de trente-cinq ans.
« C’est donc vous, McKie. »
Il inclina la tête.
« Vous avez de la chance que les hommes d’Adril aient reçu mon message à temps. Broey vous recherche déjà. Mais on ne m’avait pas dit que vous aviez la peau si foncée. »
Il haussa les épaules.
« Bahrank nous fait dire que vous pourriez causer notre perte à tous si nous ne vous surveillons pas. D’après lui, vous ne possédez pas les plus élémentaires notions susceptibles d’assurer votre survie. »
Ces paroles surprirent McKie, mais il garda le silence.
Elle soupira : « Au moins vous ne protestez pas. Enfin… soyez le bienvenu sur Dosadi, McKie. Peut-être réussirai-je à vous garder en vie assez longtemps pour que nous puissions vous utiliser. »
Soyez le bienvenu sur Dosadi !
« Je m’appelle Jedrik, comme vous le savez déjà sans doute. »
« Je vous ai reconnue. »
Ce n’était vrai qu’en partie. Aucun des portraits qu’il avait vus d’elle ne traduisait l’impitoyable violence qui émanait de sa personne.
Un sourire fugace plissa le coin de ses lèvres dures.
« Vous n’avez pas répondu lorsque je vous ai souhaité la bienvenue sur notre planète. »
McKie secoua la tête ; impassible. Les conseillers d’Aritch avaient été formels :
« Elle ignore d’où vous venez. Vous ne devez lui révéler sous aucun prétexte que vous avez franchi le Mur de Dieu. Cela pourrait avoir pour vous des conséquences immédiatement fatales. »
McKie continuait à la dévisager sans rien dire. Une expression encore plus froide se répandit sur le visage de Jedrik, durcissant les commissures de ses lèvres et de ses yeux.
« Nous allons bien voir. D’après ce que m’a dit Bahrank, vous avez sur vous un étui spécial et de l’argent cousu dans la doublure de votre vêtement. Donnez-moi d’abord cet étui. »
Ma trousse professionnelle ?
Elle tendit la main dans sa direction.
« Je vous préviens une bonne fois pour toutes, McKie. Si je me lève et quitte cette pièce, vous ne survivrez pas plus de deux minutes. »
Chacun de ses muscles frémissant de protestation, il sortit la trousse de sa poche et la lui tendit.
« Je vous avertis également, Jedrik. Il n’y a que moi qui puisse ouvrir ceci sans en détruire le contenu et être tué par la même occasion. »
Elle saisit l’objet plat et le retourna plusieurs fois dans ses mains.
« Vous en êtes bien sûr ? »
McKie commençait à l’intéresser pour des raisons nouvelles. Il se situait à la fois en deçà et au-delà de ce qu’elle attendait. Il était surtout incroyablement naïf. Mais elle savait déjà que ceux qui vivaient de l’autre côté du Mur de Dieu étaient ainsi. C’était du moins la seule explication plausible qu’elle avait trouvée. Il y avait quelque chose de profondément anormal dans la situation de Dosadi. La logique voulait que ceux qui envoyaient ici des gens s’efforcent de choisir leurs meilleurs agents. Ils n’avaient rien trouvé de mieux que McKie ? Elle en était perplexe.
Elle se leva, alla jusqu’à la porte et frappa un seul coup.
McKie la vit passer la trousse à quelqu’un dehors et engagea avec elle à voix basse une conversation dont il fut incapable de capter un seul mot. Dans un instant de brève indécision, il avait failli jouer le tout pour le tout et ouvrir lui-même la trousse pour en utiliser le contenu contre Jedrik. Mais quelque chose dans le comportement de cette femme, sans compter les énigmes qui ne cessaient de s’accumuler autour de lui, l’avait dissuadé d’employer la manière forte.
Jedrik revint s’asseoir les mains vides. Elle le considéra quelques instants, la tête légèrement penchée sur le côté, puis déclara posément :
« Je vais vous dire un certain nombre de choses. Considérez cela comme une sorte d’épreuve, si vous voulez. En cas d’échec de votre part, je vous garantis que vous ne ferez pas long feu sur Dosadi. C’est clair ? »
Comme McKie ne répondait pas, elle tapa du poing sur la table. « Je vous ai demandé si c’est clair ! »
« Dites ce que vous avez à dire. »
« Très bien. Il me paraît tout d’abord évident que ceux qui vous ont renseigné sur Dosadi vous ont averti de ne pas révéler votre véritable origine. Pourtant, la plupart de ceux qui vous ont approché même quelques secondes depuis votre arrivée sur Dosadi soupçonnent que vous n’êtes pas l’un des nôtres : ni citoyen de Chu, ni Bordurier, ni originaire d’aucune partie de cette planète. »
Sa voix se fit encore plus dure lorsqu’elle poursuivit :
« Mais moi, je le sais. Laissez-moi vous dire, McKie, que pas un enfant parmi nous n’est incapable de comprendre seul que les populations prisonnières de Dosadi ne sont pas originaires d’ici ! »
McKie ne pouvait s’empêcher de la regarder, sidéré.
Les populations prisonnières !
Il savait, en l’écoutant parler, que c’était elle qui disait la vérité. Pourquoi Aritch et les autres ne l’avaient-ils pas prévenu ? Pourquoi, plutôt, n’avait-il pas deviné lui-même ? Cette planète était incompatible avec la vie, aussi bien humaine que gowachin. Se sentant rejetés par le monde où ils étaient nés, les Dosadis pouvaient facilement déduire que leur espèce n’était pas née sur place.
Elle lui donna le temps de remettre ses idées en ordre avant de poursuivre :
« Il y en a d’autres ici qui viennent du même endroit que vous. Nous ne les avons peut-être pas tous identifiés, surtout s’ils sont mieux entraînés que vous. Mais j’ai été dressée à ne me fier qu’à des certitudes. En ce qui vous concerne, je n’ai aucun doute. Vous n’êtes pas né sur Dosadi. J’ai vérifié toutes mes informations et j’ai à présent la confirmation de mes propres sens. Vous venez de l’autre côté du Mur de Dieu. Votre comportement avec Bahrank, avec Adril, avec moi… » Elle secoua la tête d’un air navré.
C’est Aritch qui m’a introduit dans ce piège !
Ce qui remettait sur le tapis une vieille question qui n’avait jamais cessé d’intriguer McKie : la découverte par le BuSab de l’affaire dosadie elle-même. Comment les Gowachins avaient-ils été maladroits au point de permettre de telles fuites ? Ils avaient dû, à l’origine, prendre des précautions extraordinaires pour que leur secret soit gardé. Pourtant, à un moment, les informations avaient convergé comme par miracle vers les agents du BuSab. McKie s’était longtemps évertué à chercher une explication satisfaisante à ce mystère. À présent, les révélations de Jedrik complétaient le tableau. La seule réponse plausible était qu’Aritch et ses conseillers avaient tout fait pour le mettre dans cette situation. Les Gowachins avaient délibérément laissé filtrer des informations sur Dosadi. Et lui, McKie, était leur cible.
Mais dans quel but ?
« Est-ce qu’on peut nous entendre ? » demanda-t-il.
« Pas mes ennemis sur Dosadi. »
Il médita cette réponse. Elle signifiait qu’il n’était pas exclu que quelqu’un les écoute de l’autre côté du Mur de Dieu. L’indécision lui fit plisser les lèvres. Elle s’était emparée de sa trousse avec une telle facilité… mais il n’avait pas eu le choix. De toute manière, ils ne réussiraient jamais à l’ouvrir. Il y aurait un mort, un homme de Jedrik. Ce qui lui donnerait peut-être à réfléchir. Il décida de gagner du temps.
« J’aurais beaucoup de choses à vous dire. Il y en a tellement que je ne sais pas par où commencer. »
« Commencez par m’expliquer comment vous avez franchi le Mur de Dieu. »
Après tout, pourquoi pas ? Il pouvait toujours l’occuper en lui décrivant vaguement les couloirs calibans et leur fonctionnement. Rien dans l’expérience de Jedrik ne l’avait préparée à l’existence de telles choses. McKie prit une inspiration profonde. Mais, avant qu’il ait pu parler, il y eut un coup bref à la porte.
Après lui avoir fait signe de se taire, Jedrik se pencha pour ouvrir. Un jeune homme maigre aux grands yeux surmontés d’un front haut et d’une fine chevelure blonde se glissa dans pièce et posa la trousse de McKie sur la table devant Jedrik.
« Ça n’a pas été très dur », fit-il.
McKie contemplait, stupéfait, sa trousse professionnelle ouverte avec tout son contenu intact.
Jedrik fit signe au jeune blond de s’asseoir sur le banc en face d’elle et prit dans sa main un générateur X.
Incapable de se contenir, McKie s’exclama :
« Attention ! C’est dangereux ! »
« Calmez-vous, McKie. Vous ne connaissez rien au danger. »
Elle retourna plusieurs fois le générateur dans sa main, le remit soigneusement en place et se tourna vers le jeune blond.
« Je t’écoute, Stiggy. Explique-toi. »
Il se mit à sortir un par un les objets de la trousse en les manipulant comme s’il savait parfaitement s’en servir et en donnant pour chacun quelques explications rapides.
McKie fit des efforts désespérés pour suivre la conversation, mais ils utilisaient un code qui lui échappait. Cependant, leurs mimiques étaient éloquentes. Ils paraissaient ravis. Ce que Stiggy avait à dire sur les jouets dangereux que contenait la trousse devait être de nature à combler les espoirs de Jedrik.
Les incertitudes nées durant le voyage avec Bahrank atteignirent une intensité nouvelle. Il sentait grandir en lui un malaise qui se concrétisait sous la forme d’une boule au creux de l’estomac, de douleurs vives dans la poitrine et, plus récemment, d’une migraine en forme de barre au milieu du front. À un moment, il s’était demandé s’il n’était pas victime de quelque maladie nouvelle, particulière à la planète. Ce ne pouvait pas être la nourriture, car il n’avait encore rien absorbé depuis son arrivée sur Dosadi. Il comprit subitement, en observant Jedrik et Stiggy, que sa réaction provenait de ses propres facultés de raisonnement qui se rebellaient contre quelque chose, une assertion ou une série d’assertions qu’il avait acceptées sans songer à les mettre en doute. Il décida de faire le vide dans son esprit et de ne plus se poser aucune question sur rien. Il devait être avant tout réceptif à tout ce qui pouvait se présenter de neuf. Ensuite, il évaluerait la situation au fur et à mesure de son évolution.
Dosadi exige que vous soyez froid et brutal dans toutes vos décisions. Sans aucune exception.
Hum… il avait stupidement perdu sa trousse, convaincu que celui qui voudrait l’ouvrir serait tué. Il avait commis l’erreur de les avertir. C’était probablement cela qui les avait aidés.
Il faut que je devienne exactement comme eux si je veux avoir une chance de survivre – sans parler de réussite.
Il commençait à comprendre pourquoi Aritch avait si peur de Dosadi et à partager le désespoir du Gowachin. Quel terrain d’expérience atroce pour reconnaître l’usage et les limites du pouvoir !
Jedrik et Stiggy avaient terminé leur discussion. Stiggy referma la trousse et, la tenant d’une main, se leva en prononçant enfin quelques paroles intelligibles pour McKie.
« C est vrai, nous n’avons pas un seul instant à perdre. »
Puis il sortit avec la trousse.
Jedrik se tourna vers McKie. La trousse et son contenu avaient contribué à donner une réponse à la question la plus évidente concernant McKie et ceux de son espèce. Les gens qui vivaient de l’autre côté du Mur de Dieu étaient les descendants dégénérés de ceux qui avaient inventé de telles armes. C’était la seule explication cohérente. Elle éprouvait presque de la pitié pour ce pauvre crétin. Mais ce n’était pas un sentiment qu’elle pouvait se permettre. Il fallait lui faire comprendre qu’il n’avait pas le choix et qu’il devait lui obéir.
« À présent, McKie, vous allez répondre à toutes mes questions. »
« Très bien. »
C’était une soumission totale et elle le savait.
« Quand vous m’aurez satisfaite dans tous les domaines », reprit-elle, « nous irons manger et je vous conduirai dans un certain endroit où vous serez relativement en sécurité. »